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Migrants : « La politique de la France ne peut se résumer à la poursuite d’adolescents dans nos rues »

Migrants : « La politique de la France ne peut se résumer à la poursuite d’adolescents dans nos rues »

Dans une tribune au « Monde », l’écrivain Jacques Attali et la députée LRM Bénédicte Peyrol proposent dix actions pour accueillir dignement les réfugiés.  8 février 2018

Tribune. L’accueil des exilés, qu’il faut bien distinguer des autres enjeux liés à l’immigration, mérite mieux que l’image qu’on en donne d’une simple gestion policière et de ses bavures, mieux que les invectives, les fantasmes et les jeux de rôles. Plus précisément, la politique de la France ne peut se résumer à la poursuite d’adolescents abandonnés dans les rues de nos villes, par des policiers qui auraient bien mieux à faire et dont l’image ne peut qu’être dégradée par la mission qu’on leur donne ainsi à remplir.

D’abord, il doit être clair qu’on ne parle pas ici de l’immigration et de son éventuelle nécessité. Ni de l’identité française, qui serait menacée par « un grand remplacement » : le sujet ne se pose pas aussi longtemps que les exilés resteront de l’ordre d’un ou de deux pour mille de la population française, et se pose encore moins si la politique à leur endroit passe d’abord, et avant tout, comme on le verra plus loin, par leur intégration dans la nation française.

Une telle politique se décline, à notre sens, en dix actions, qui méritent d’être mises en œuvre simultanément, et qui supposent une collaboration ouverte, sincère et dépassionnée de tous les acteurs : l’Etat (dans toutes ses dimensions, qui doivent être cohérentes, de la police aux services sociaux), les associations et les territoires.

1. Cette politique doit commencer par une pédagogie auprès des Français. Il est essentiel d’avoir un grand débat national sur notre rapport aux étrangers et à l’accueil. Il est urgent d’expliquer ce qu’est la France, ce pays dont la langue emploie moins de mots gaulois que de mots celtes, latins ou arabes ; la France, dont le nom vient d’un envahisseur, et dont la culture s’est sans cesse enrichie de celle de ceux qui sont venus s’y installer et qui ont fait l’effort humble de parler et de vivre notre langue et notre culture en l’enrichissant. La France, qui envoie elle-même des millions de ses enfants vivre dans d’autres pays, où elle trouve naturel qu’ils soient bien accueillis.

Il faut aussi expliquer que les exilés ne viennent en France que parce qu’ils sont obligés de quitter leur pays, devenu un enfer. Il faut aussi faire valoir ce qui marche bien : les centres d’accueil et d’orientation, les projets d’intégration tels que HOPE [acronyme du programme Hébergement, orientation, parcours vers l’emploi]. Et, enfin, il faut donner la parole à des réfugiés qui remercient la France et ne demandent qu’à lui rendre ses services.

Ce débat permettra de mieux expliquer la distinction entre le devoir d’asile, inscrit dans la Constitution et dans tous traités que la France a ratifiés, et l’arrivée de migrants économiques. A ces conditions, les Français pourront admettre que leur pays ne pourra se contenter de ses seuls enfants pour financer ses retraites et remplir des tâches que les Français d’aujourd’hui ne veulent plus faire en nombre suffisant, qu’il s’agisse de chauffeurs routiers, de maçons, d’infirmières ou de médecins.

2. A l’arrivée des exilés, une seule administration doit pouvoir analyser en une seule fois l’ensemble des statuts possibles (réfugié, protection subsidiaire ou autre catégorie de titre de séjour). C’est déjà le cas en théorie, mais, faute de moyens, cela reste très largement virtuel. Cela permettra de réduire les inégalités de traitement entre migrants, qui ne comprennent pas pourquoi certains obtiennent leurs papiers plus vite que d’autres, alors qu’ils ont autant, voire plus, souffert.

3. Il faut ensuite leur faire passer au plus vite un bilan de compétences et de besoins en matière d’intégration. Et en déduire un parcours, dans le dédale des multiples institutions et associations si compétentes et dévouées pour les servir.

4. Puis il faut les répartir sur les territoires, non selon des quotas, mais selon les besoins économiques et démographiques des villes et villages de France, dont beaucoup, plus qu’on ne le croit, sont prêts à les accueillir si on leur fournit la marche à suivre.

5. Il faut qu’un exilé puisse travailler dès qu’il a obtenu un premier document administratif, et non pas, comme aujourd’hui, neuf mois au moins après avoir déposé une demande d’asile, et que cette autorisation de travail soit accordée de manière égale d’une préfecture à l’autre. Ce sera la meilleure façon de préparer son intégration ultérieure, et de lui permettre de rendre ce qu’il a reçu. On en finira ainsi avec ces masses d’exilés oisifs, dont l’opinion ne comprend pas la présence sur notre sol.

6. Il faut multiplier les dispositifs d’apprentissage du français et de la culture française, et faire en sorte que les exilés commencent à apprendre notre langue dès leur arrivée, et non pas, comme aujourd’hui, au bout au moins de six mois de présence en France : même s’ils sont déboutés, ce ne serait pas un investissement perdu pour la France et la francophonie.

7. Il faut organiser une prise en charge médicale, et en particulier psychiatrique, des réfugiés : beaucoup ont vécu de telles horreurs qu’aucune intégration n’est possible sans un tel passage.

8. Puis vient le moment de la décision. Ceux qui obtiennent le droit de rester en France doivent l’avoir au plus vite.

9. Pour ceux qui ne l’auront pas, et qui devront, en vertu de l’accord inique de Dublin, retourner dans le pays où ils sont arrivés, il faut leur fournir les moyens d’y réussir. De toute façon, sans une aide substantielle, ils ne pourront rester ni en Grèce ni en Italie, et ils reviendront en France ou ailleurs ; pas même le quart retournent dans leur pays d’origine.

10. Enfin, et surtout, il faut aider à un développement et une sécurité dans les pays dont ils viennent, pour qu’ils aient vraiment envie d’y retourner. Ils deviendront alors les meilleurs ambassadeurs de la France, qui les aura bien reçus. Sinon viendront en beaucoup plus grand nombre ceux qui ne pourront manquer d’en partir bientôt si ces pays restent des enfers.

Une telle politique mérite d’être exposée clairement et menée lucidement. Les enjeux policiers ne sont plus alors qu’annexes et la France pourra continuer d’être fière de ce qu’elle est et des talents de toute nature qu’elle attire.